Quand les entreprises parlent de Marseille

« Quand ils parlent de Marseille, ils disent toujours la même chose », alors ça c’est bien vrai ! Du coup, la Chambre de Commerce et l’Union Patronale a décidé de nous montrer autre chose dans un clip d’une minute intégré à un plan de communication plus large sous la bannière « Si vous saviez tout ce qu’il se passe ici ! ». Il serait de bon ton de se moquer de l’initiative, nul doute que certains de mes amis s’en chargeront, mais moi, j’ai envie de dire bravo. Tout en saluant l’initiative, je vais essayer de d’expliquer ce qu’elle signifie, selon moi, dans une perspective de promotion du territoire.

Pour la faire courte, la vidéo nous explique que « ils » (les médias) ne parlent toujours que de la même chose (règlements de compte, précarité, folklore) sans voir ce qui fait la fierté de la ville : les entreprises, les réussites, l’entrepreneuriat. Et donc, si vous saviez tout ce qu’il s’y passe, vous changeriez peut-être d’avis, en sous-titre : ne vous arrêtez pas au point de vue des médias.

Je trouve ça bien parce que ça arrive au bon moment (l’effet 2013 est maintenant bien retombé et la ville a besoin d’un second souffle en communication en attendant de nouvelles annonces concrètes : Capitale du Sport, événement culturel en 2015…), c’est basé sur des faits tangibles incontestables (on est pas en train de vendre du vent, il y a un tissus économique conséquent à Marseille, ou au moins beaucoup plus que ce que les gens peuvent croire à l’extérieur) et c’est porté par un dispositif professionnel (campagne virale, site web, conférence de presse, visites de presse pour montrer), bref, on sent qu’on est pas face au malheureux « on the move » dessiné sur un coin de table en urgence, sans discours derrière et retiré au bout de quelques mois. Ça peut paraître élémentaire mais les collectivités nous ont tellement habitué à un amateurisme cheap que face à un dispositif juste professionnel, je suis très très content !

Côté créa (qui n’est pas ma spécialité), je trouve la vidéo virale est un peu convenue, les pubs print trop publi-redactionel ou pas assez justement (trop d’infos pour une pub mais pas assez « faux » article pour qu’on le lise si on est pas intéressé a priori). Par contre, les spots radios sont particulièrement bons, en jouant sur les stigmates médiatiques pour mieux les retourner, en plus ils sont rapides et c’est tellement dur d’être créatif en radio… Bravo !

Un problème selon moi : on ne parle que de Marseille sous une marque « Aix-Marseille Provence ». Je comprends l’obsession métropolitaine de la Chambre de Commerce, je suis 100% métropolitain, mais là on touche à une limite : c’est compliqué de parler de deux réalités si distinctes. Ma première réaction en voyant la vidéo a été, « mais pourquoi d’un coup on me parle d’Aix ? ». Je me demande aussi dans quelle mesure Aix est ravi de voir son nom associé à cette campagne. Mais bref, à la fin, je pense que tout le monde retient qu’il s’agit de la pub « pour Marseille ».

Maintenant que j’ai expliqué pourquoi je félicitais les initiateurs ce cette campagne, qu’est-ce qu’elle nous raconte sur le marketing territorial de notre ville ou métropole ?

D’abord, elle nous raconte la démission des acteurs publics. Jamais la Chambre n’aurait eu besoin de lancer cette campagne si les pouvoirs publics (Mairie par exemple) avaient fait leur boulot de promotion du territoire. Les autres villes jouent une compétition territoriale (on peut se demander pourquoi cette compétition existe, la déconstruire pour mieux la comprendre, mais on ne peut pas nier que les villes se pensent en compétition), certaines ont des dispositifs très agressifs, et je pense qu’on aurait tort de ne pas utiliser les mêmes outils, surtout pour ne pas dire la même chose. Parfois ce sont les collectivités, élues par tous, qui s’en chargent, je pense que c’est préférable car en cas de désaccord des citoyens sur la politique de promotion, ils peuvent être sanctionnés. Mais comme à Marseille, nous avons les élus que nous avons, la Chambre a attendu longtemps puis pris l’initiative de « privatiser » cette fonction de promotion. Et pour le coup ils le font bien. Ça renforce une idée que je développe depuis quelques mois : les collectivités locales marseillaises sont une publicité vivantes pour la privatisation des services publics et/ou la centralisation jacobine. Ils sont tellement mauvais qu’il devient à chaque fois plus difficile de défendre une vision publique de la gestion municipale, ou décentralisée. On en arrive à préférer qu’une fonction soit gérée par l’Etat, une entreprise, la CCI, l’Europe… n’importe qui pourvu qu’elle échappe au Maire ou au Conseil Général.

Ensuite, elle nous renseigne sur un fait majeur : le marketing territorial est affaire de celui qui s’en charge. Chaque groupe d’acteurs défend la vision du territoire qui convient à ses intérêts. Ici, nous avons la vision de la CCI : la fierté du territoire sont les entreprises, parce que la vision d’un territoire gagnant pour la CCI est un territoire riche d’entreprises. Ils ne s’intéressent que plus marginalement au dynamisme culturel ou la cohésion sociale, et on peut difficilement leur en vouloir car ils ne représentent pas l’ensemble de la population. J’ai réalisé une enquête sur Marseille récemment, sur 407 personnes aux profils variés, 38% considèrent le développement économique comme la priorité d’une marque de ville, mais 35% la cohésion sociale (sans qu’il y ait de différence significative en termes de genre, âge, revenus, marseillais ou touriste). Une seconde structure serait donc tout à fait légitime à promouvoir cette vision du territoire, en espérant qu’elle le fasse de manière aussi professionnelle que la CCI.

La marseillologie encourage tout le monde à parler de Marseille autrement. On pourrait même imaginer une version qui reprenne le « si vous saviez tout ce qu’il se passe ici »… avec tout ce que les gens de l’extérieur ne savent pas forcément sur les charmes de Marseille : l’apéro sur la plage, le demi à 2€50, les pizzas de Sauveur… mais a-t-on vraiment envie de le leur dire ?

6 réflexions au sujet de « Quand les entreprises parlent de Marseille »

  1. Article passionnant comme souvent, et bravo pour la réactivité.
    Par contre, je me pose une question qui peut paraître anecdotique mais qui à mon sens rentre complètement dans le sujet : est-ce qu’on sait quelle agence a été mise à contribution pour cette campagne ? Est-ce une agence marseillaise, aixoise ou parisienne ?
    Je n’arrive pas à trouver l’info sur les différents communiqués de la CCI, peut-être avez-vous l’info de votre côté.

      • Merci pour la réactivité et la réponse.
        La campagne est sûrement signée de Textuel La Mine (qui fait partie de BBDP).

        C’est extrêmement dommage donc… d’autant qu’au niveau graphique ça ne vole pas très haut (même si le message et le ton sont, quant à eux, parfaits). Dommage qu’aucun créatif marseillais n’y ait donc été associé :/

  2. Devisubox (Société 100/100% marseillaisse) retrace la métamorphose de Marseille, capitale européenne de la culture en 2013 avec la construction en accéléré des plus grands chantiers : Le stade Vélodrome, le Mucem, la Villa Méditerranée, les Terrasses du Port, le Pavillon M, Euromed Center, les Voutes de la Major, La rénovation du Centre Bourse, ainsi que plusieurs évènements culturels dont Marseille a été le théâtre: https://vimeo.com/85540845

  3. Bravo, je pense que pour vendre Marseille il faut effectivement parler de l’essentiel : son âme, Marseille est une émotion et c’est ce qui nous différencie

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